Et un jour, bizarrement, je me suis mis au vélo. Non pas le vélo pour aller au boulot, le vélo. Le vrai vélo. Celui où il faut mettre des trucs moulants, des lunettes aérodynamiques et surtout de toutes les couleurs avec des reflets arc-en-ciel, des gants avec des trous au bout des doigts et des chaussures impossibles à marcher.
Quand un fondeur (ou un skieur de fond) fait du vélo, il respecte scrupuleusement les règles suivantes :
1- il ne se rase pas les jambes, ça jamais. C’est ce qui le différencie, con qu’il est, du reste de population roulante. Ainsi, en cas de blessure, il pourra souffrir de ses poils en plus de sa blessure. Ceci n’est vrai pour les hommes à partir d’un certain âge. Les fondeuses, elles, font bien comme elles veulent.
2- il ne met pas de gants troués au bout des doigts censés protéger les mains lors d’une chute, ainsi il pourra se punir doublement de la chute.
3- il ne roule que rarement en dessous du seuil lactique. Vu que je fais pas de dictionnaire ici, on dira qu’il appuie sur les pédales comme si c’était le dernier kilomètre d’une course, même s’il lui en reste une centaine. Après ces trois points, vous l’aurez compris, le fondeur est quelqu’un de pas bien évolué qui se fiche de tout, s’en prend plein la gueule, et recommence. Avis aux parents et entraîneurs effarés, ceci est humoristique.
Bref, les fondeurs aiment se punir à chaque occasion, ce qui n’en fait pas des saints pour autant. Mais revenons à nos vélo car une fois qu’on roule, les petites joies sont nombreuses :
– traverser un village en se faisant saluer par le petit vieux à béret qui fait son jardin
– traverser un village en se faisant saluer par un type au bar qui boit son ricard
– traverser un village,… traverser un village quoi.
– prendre l’aspiration sans pédaler et se rendre compte que celui de devant à des « fuites de lactique » dans les mollets
– comprendre que celui de devant va s’écarter et qu’il va falloir débrancher le ciboulot.
– mener un groupe en côte et se rendre compte que dans le groupe, on est tout seul et que tout le monde « a pété »
– attendre les autres en haut du col avec un grand sourire
– arriver en haut du col suivant en voyant ses compères sourire en haut.
– pencher dans les virages en descente
– rouler au soleil et voir un rideau de pluie s’approcher inexorablement (vu au stage vélo 2017)
– doubler les voitures, évidemment.
– avoir des sandwiches qui sautillent devant les yeux à la fin d’une sortie un peu sportive.
Et donc voilà, un stage vélo se termine, un grand et beau stage. Faut être fou pour être fondeur et s’attaquer à ces cols à coups de pédale et de chaleur! En plus, jambes pas rasées et dérailleurs bruyants! Les autres vélo devaient bien s’indigner en nous voyants passer, belle danseuse qui mouline dans du 12%. Faut sucer les roues, monter sur le porte bagage, le vent se mange devant, devant un beau peloton de club!
C’est l’équipe qui fait de belles sorties vélo! En club pour se protéger, pour s’entr’aider, pour se conseiller, on est plus forts entre copains! Les forts devant, les autres à l’aspi, en attendant les premières rampes où chacun s’efforcera de mouliner à son rythme jusqu’au sommet!
Quelques phrases cultes du stage :
« Eh fais gaffe, ton stage va pas être homologué »
« Prends l’aspi, j’en remet une petite couche! »
« Va pas faire une Dumoulin en mangeant trop de pruneaux! »
« Je décoche le Noyer »
« La Bérarde, 2.5% de moyenne »
« Quand c’est censé devenir plus facile, c’est plus dur »
Croix de Fer, Télégraphe, Galibier, Alpe d’Huez… Ces noms auront désormais pour nous une résonance dans nos souvenirs. Nous savons désormais ce que sont ces cols pour un cycliste, nous savons ce que c’est de se trouver au pied de ces immenses montagnes chargées d’histoires. Ces montagnes que personnes ne gravissait il y à peine quelques siècles, hors quelques bergers. Ces grands cols que les premiers cyclistes franchissaient seuls sur de vagues pistes au milieu de la montagne hostile et qui se battaient malgré tout pour la victoire, qui forçaient sur malgré tout sur leurs pédales pour distancer je ne sais quel adversaire, si ce n’est son propre adversaire, son propre col.
Nous, minuscules cyclistes, nous avons finis par savoir ce que sont ces longues longues routes, ces virages à n’en plus finir, cette chaleur qui s’estompe peu à peu, ces arbres qui disparaissent du bord de route pour laisser place aux prairies et chalets d’alpage, puis aux cailloux et rochers aux formes étranges et aux langues froides de neige survolées par les choucas affamés, et enfin aux murs blancs au bord de la route, dernières traces d’un hiver d’altitude très long. Dans ces paysages, nous forçons, nous faisons avancer notre machine, ces deux roues lourdes à monter.
Quelle est cette force nous fait grimper? Quelle puissance nous donne cette énergie pour rattraper coûte que coûte celui qui est parti trop vite? Pourquoi ces accélérations dans les derniers virages jusqu’à haleter, alors que la simple vision de ces sommets incite à s’incliner en silence? Juste une force en nous, la force sportive, un mental d’acier qui transcende la puissance musculaire. Voilà cette force que nous avons en nous, qu’il est important de découvrir au fur et à mesure de certains de nos entraînement, et de développer. Cette force mentale sera le terreau fertile de nos entraînements et de nos performances les plus belles, comme ce fût le cas pour de nombreux cyclistes, certains forgeant leurs victoires dans les orages dantesques du Galibier. Que ce soit dans les victoires et dans les défaites, notre mental nous aidera à continuer toujours, malgré la douleur et la déception, qui n’en seront que plus temporaires. On peut appeler ça du caractère sportif, une force d’esprit propre aux sports d’endurance, très utile en sport mais aussi dans la vie quotidienne! Ne jamais renoncer, dépasser de temps en temps les limites qui nous sont fixées, en être fier… Mais ne pas oublier que ce n’est peut-être que partie remise et que les forces extérieures seront elles aussi un jour plus fortes que nous. Ce mental fort qui nous travaillons doit aussi aider à faire avancer le groupe entier, et aider les moins forts. Les encouragements ont été nombreux sur le vélo pour pouvoir accélérer, ou simplement arriver au col pour enfin se dire « je l’ai fait » ou « Ne reste plus qu’à se laisser descendre en admirant les glaciers ».